Réflexions d’Equinoxe

A l’occasion de la Tenue commune de rentrée des huit Loges lémaniques du Grand Orient de Suisse

De retour dans leurs ateliers respectifs en cette période de l’équinoxe d’automne, les Franc-Maçons se remettent au travail. Autrement dit, nous allons chercher ensemble, comprendre ce que l’on se dit, apprendre les uns des autres, dans la perspective idéale de rendre l’Humanité un peu, un tout petit peu meilleure. Tel est le sens profond du mot « Travail » pour un Franc-Maçon.

« Apprendre, c’est découvrir quelque chose que l’on sait déjà ». Ce Savoir préexistant à notre nature humaine est ésotérique. Il est intérieur, caché au plus profond de nous, dans les trésors de notre inconscient individuel ou collectif. Par les rites, il est à la fois dissimulé aux profanes et rendu accessible aux Initiés.

Chercher pourquoi et comment nous savons déjà ces choses nous confronte aux plus grands mystères de l’Humanité, de la matière qui la constitue physiquement, de l’Esprit qui s’y incarne et de la cause primordiale de tout cela, quel que soit le nom qu’on veut bien lui donner. Ou ne pas lui donner. Car quel que soit le postulat de départ, chaque réponse trouvée, chaque savoir nouvellement appris (donc découvert en nous) à partir d’une question posée engendre à son tour de nouvelles questions.

Ce questionnement a occupé et occupe encore de nombreux cherchants de tous les temps, dans toutes les cultures et à toutes les époques de la courte histoire des Hommes. Il est à l’origine de nombreux ordres initiatiques traditionnels, dont le notre. Une Connaissance s’extrait et s’élabore peu à peu de leurs diverses démarches ésotériques. Elle est ensuite transmise à d’autres Hommes, qui sont « nés à nouveau » en abandonnant consciemment les oripeaux de l’ignorance, de la superstition et du dogme pour s’ouvrir à leur propre questionnement.

Étymologiquement, cette transmission constitue l’objet et la justification de la Tradition Initiatique, laquelle est une des méthodes éprouvées de l’Apprentissage, au sens le plus large possible de ce terme.

La Connaissance qui est ainsi transmise entre Initiés, et par les Initiés aux Néophytes, est si Universelle que de nombreuses Traditions la revendiquent pour répondre, dans le cadre de leurs cultures respectives, aux Hommes et aux Femmes engagés dans une Quête spirituelle. La Kabbale, le Soufisme, le Bouddhisme non dualiste, le Taoïsme, la Chamanisme et d’autres sont, avec la Franc-Maçonnerie, autant de voies de recherche de la Connaissance, c’est à dire de la place et du rôle de l’Homme dans l’Universel.

La Franc-maçonnerie, qui se reconnaît au nombre des Traditions de souche antique, appelle cette Connaissance Lumière. Elle admet parfaitement que d’autres Ordres initiatiques poursuivent la même recherche qu’elle en lui donnant des noms différents et en empruntant des voies parallèles, divergentes ou entrecroisées avec les siennes. Cette attitude s’appelle la Tolérance. C’est une attitude positive, qui n’a rien à voir avec une passivité condescendante ou indulgente pour ce qu’on ne peut pas ou ne veut pas empêcher. Un Maçon véritablement tolérant va à la RENCONTRE D’AUTRUI, pour l’écouter sans pour autant craindre de perdre les fruits de sa recherche propre. D’un point de vue philosophique, il considère comme naturel un principe qui l’oblige à ne pas juger ceux qui ne pensent pas comme lui. C’est un adogmatique, un homme Libre et de bonnes mœurs.

A l’intérieur de la Franc-maçonnerie aussi coexistent différentes voies de recherche et de réalisation de notre Idéal. Or il me semble que l’attitude de tolérance si facile à prôner à l’extérieur de nos Loges atteigne rapidement ses bornes dans notre Ordre lui-même. Des querelles de chapelles, opposant par exemple la « symbolâtrie » des uns à l’intellectualisme des autres, la lourdeur du Rituel des uns à la pauvreté de celui des autres, le déisme des uns à l’athéisme des autres, affligent tous ceux d’entre nous qui travaillent dans la sincérité.

Ces jugements des uns sur les autres sont parfois très sévères. Ils sont toujours superficiels. Si tous les Francs-maçons recherchent la Lumière et ont en vue le Bien de l’Humanité, tous ne sont pas entrés en Loge pour répondre de la même manière à leur quête personnelle. Pour ma part, j’estime parfaitement légitime que certains Ateliers recherchent la Lumière par des voies ésotériques et symboliquement fortes tandis que d’autres préfèrent inscrire leur Travaux dans une philosophie plus intellectuelle, aux sens les plus nobles de ces mots. Sinon, une seule Loge suffirait, comme ce Midi, pour abriter nos Travaux.

Je doute cependant qu’un seul d’entre nous approuverait une telle proposition de loge unique qui, de toute évidence, ne satisferait rapidement plus grand monde!

Ce soir, à la clôture des Travaux, les huit Vénérables Maîtres en Chaire des Loges qui participent à cette Tenue se verront remettre une parcelle de la Lumière qui illumine encore cette Tenue. Ils emporteront cette Lumière pour qu’elle éclaire symboliquement les Travaux de leurs Ateliers respectifs tout au long de l’année maçonnique qui commence. Puisse cette Lumière nous apprendre la Tolérance que, sans nul doute, nous connaissons déjà au fond de nous-mêmes.

Le Vén:. M:. de la L:. Érasme