Pourquoi les Francs-Maçons sont-ils excommuniés ?

Toute personne qui entretient des rapports familiaux, sociaux ou professionnels avec un Franc-Maçon se trouve tôt ou tard confrontée avec la question: Pourquoi les Francs-Maçons sont-ils excommuniés? Et les réponses qu’elle peut obtenir à ses interrogations sont soit tendancieuses, soit évasives et, dans tous les cas, décevantes pour celui ou celle qui désire sincèrement savoir.

Dès le début de ce que nous pouvons considérer comme la manifestation d’une vie religieuse, les corporations de métiers ont sans doute été partout en contact étroit avec le clergé local. Elles réalisaient pour ce dernier, non seulement des édifices religieux, mais aussi des dispositifs destinés à impressionner les fidèles. Il est normal que ces réalisations aient été le fait de quelques individus choisis pour leurs capacités professionnelles et surtout pour leur discrétion. De ce fait, une certaine symbiose a conduit au statut de « prêtre-constructeur » ou au moins à celui de constructeur initié aux arcanes de la religion du lieu.

Dans l’antiquité romaine et médiévale, pour défendre leurs intérêts et aussi pour se soutenir et se défendre mutuellement, les constructeurs s’étaient organisés en guildes, en confréries, qui jouissaient de franchises étendues. Pour pouvoir construire ils devaient pouvoir se rendre sur le chantier, chercher des matériaux dans les carrières ou les forêts et, donc, circuler librement en troupes plus ou moins nombreuses. Avec les invasions barbares, tout l’édifice social et religieux romain s’est effondré. Ce n’est que vers l’an 600 que nous retrouvons des traces de  » collegia « , de confréries de bâtisseurs.

Ce sont les congrégations religieuses, les pouvoirs civils et militaires, ont été les premiers à utiliser un nombre important d’ouvriers pour la construction de leurs chapelles, monastères, églises, châteaux ou palais.

Avec les croisades, de grands déplacements de constructeurs ont commencé car il n’y a pas de guerre sans troupe du génie. Sous l’égide des Templiers, les confréries de maçons, tailleurs de pierre, charpentiers, etc. se sont structurées. C’est sans doute à ce moment que les maçons ont choisi Saint Jean comme patron. Leurs protecteurs, les Templiers, se disaient eux aussi de Saint Jean. Est-ce à ce moment que les confréries de métiers sont devenues suspectes d’hérésie ?

Il est bien connu que l’Eglise de Jean, apôtre de la liberté, a toujours été opposée à l’Eglise de Pierre qui prônait l’esclavage et même l’amour de l’esclave pour le maître qui le bat, et en tous cas la soumission inconditionnelle à la hiérarchie établie.

Mais au début du 2e millénaire, nous ne notons pas d’hostilité de l’Eglise envers les constructeurs qui œuvrent sur les grands chantiers des cathédrales et des ouvrages militaires destinés à la défense des lieux saints.

C’est dans ce ciel serein que la première bulle d’excommunication des Francs Maçons qui nous soit connue est tombée comme un coup de foudre. En 1189, le concile de Rouen excommunie les bâtisseurs libres et aussi les constructeurs d’aqueducs. Pourquoi? Les Francs-Maçons, se disant de Saint-Jean, abritaient peut-être dans leurs loges et leurs chantiers des hérétiques : des Cathares, des Bogomiles? Surtout ces Cathares qui prêchaient l’évangile de Jean et qui l’avaient même traduit en langue d’oc. Dans leurs loges, a l’abri des oreilles du clerc, les constructeurs avaient-ils eu l’occasion de débattre des idées de Roger Bacon, le moine franciscain qui voulait soumettre la connaissance à l’expérimentation? Ou des théories du moine dominicain Eckhart sur la dualité de l’être, virtuel en Dieu et concret sur terre ? Ils ont certes été en contact avec des constructeurs musulmans et on peut craindre qu’ils en aient rapporté des idées peu orthodoxes.

Comme les protecteurs des Francs-Maçons, les Templiers étaient à ce moment très puissants, la bulle n’a pas eu de suites fâcheuses.

Mais la fin de l’Ordre du Temple, en 1312, a privé les confréries de protection. Les grands déplacements de main d’œuvre ont cessé et déjà en 1326 le concile d’Avignon excommunie à nouveau les Francs-Maçons.

Cette condamnation comporte un détail important nous lisons: Dans certains cantons de nos régions, il y a des gens, le plus souvent des nobles, parfois des roturiers, qui organisent des ligues, des sociétés, des coalitions interdites… ils se rassemblent une fois l’an, en quelque lieu, pour y tenir leurs conciliabules et leurs réunions….. Parfois, après s’être revêtu d’un costume uniforme, et faisant usage de marques et de signes distinctifs, ils élisent l’un d’entre eux comme supérieur. Ce sont donc les prémisses de la démocratie et du libre choix des chefs, qui sont visés.

Cette bulle concerne donc bien les Francs-Maçons, et surtout ces nobles et parfois roturiers qui en font partie mais qui ne construisent pas. Il s’agit surtout de la Franc-Maçonnerie spéculative où des nobles, des savants ou des philosophes hérétiques ont trouvé refuge. L’église craignait sans doute une survivance de l’esprit du Temple?

Dès ce moment, à travers tout l’Europe, il n’y a plus une Franc-Maçonnerie, mais des loges localement actives. Elles ont peu de rapports entre elles. Les connaissances du métier se sont atomisées, plus personne n’a le loisir de se déplacer, et encore moins de « philosopher », car toute l’activité est utilisée à la survie dans un climat de guerre perpétuelle.

Dès le quinzième siècle, surtout dans les villes universitaires, un nouveau courant de pensée a vu le jour. On l’a nommé « courant scientiste » ou esprit « rosicrucien ». Parallèlement à la Réforme, des idées hérétiques ont germé. Ce qui se discutait peut-être dans le secret des loges est venu au grand jour. Mais l’inquisition veillait. Les savants « hérétiques » sont chassés des universités. Heidelberg est pris par les troupes catholiques. C’est la fuite en Angleterre, Hollande, Pays Nordiques.

Dans certaines loges anglaises et écossaises les penseurs entrent en force. La Loge de Warrington initie Elias Ashmole, le rosicrucien, qui formera très rapidement dans sa loge un groupe d’études scientifiques où l’on trouve les noms de Robert Boyle, William Lilly, Thomas Warton et d’autres chercheurs moins connus. En 1644, les trois quarts des membres de la Loge d’Edimbourg ne construisaient pas.

Les loges étaient en passe de devenir totalement spéculatives quand, en 1666, l’incendie de Londres donne une nouvelle impulsion aux confréries de bâtisseurs. Il faut reconstruire. Pour attirer les maçons, on renouvelle leurs franchises et, naturellement, de nouvelles loges voient le jour. A la fin du siècle, Londres est reconstruit. Le Grand-Maître des Francs-Maçons était Christopher Wrenn, le constructeur de la cathédrale de St-Paul. Jacobite notoire et catholique convaincu, il a 87 ans en 1717. Sa succession est ouverte. C’est ici qu’intervient Desagulier, huguenot et rochellois, grand pourfendeur de curés et ennemi juré de Rome et de la monarchie de droit divin des Bourbons.

Le grand mérite de Desagulier a été de comprendre qu’en noyautant les loges de Londres, et en y attirant des princes et des nobles, il pouvait faire pièce aux Bourbon et se venger des catholiques qui avaient persécuté sa famille lors de la révocation de l’Edit de Nantes.

La Franc-Maçonnerie anglaise était donc fortement axée sur la lutte contre les Bourbon et contre la Papauté. Aussi le soutien de l’Eglise et du Gouvernement de Londres s’explique facilement. Le recrutement des loges était axé sur la position sociale des candidats. La noblesse y avait la prépondérance et la Grande Loge de Londres pouvait se permettre d’avoir comme Grand Maître, de 1720 à 1724, le duc de Warton, président et membre fondateur de cet Hell Fire Club où l’on se réunissait pour blasphémer. En 1747 on ne fit pas mieux en nommant à ce poste Lord Byron, dit Byron le débauché, et ce malgré qu’il eût tué l’un de ses parents lors d’une rixe d’ivrognes. Mais ces hommes étaient nobles et cela seul comptait.

En France, la situation était différente Au début du XVIIIe siècle, la monarchie y régnait d’une manière souveraine. En 1709, Bossuet, dans sa « politique tirée des propres évangiles de l’Ecriture Sainte » prouve que: le gouvernement de Louis XIV est issu directement de la Bible. Le roi règne de droit divin. Il a reçu le pouvoir de Dieu, de ses ancêtres et de la Vraie Eglise.

Nombre de nobles écossais avaient cependant suivi Henriette de France, veuve de Charles 1er, dans son exil. Sa garde était assurée par des régiments écossais, formés de catholiques fervents. Ce sont eux qui ont introduit la Maçonnerie écossaise sur le continent, recréant leurs loges militaires et y acceptant des nobles et officiers français.

Contrairement aux loges anglaises, les loges continentales et écossaises furent plus heureuses dans le choix de leurs dignitaires. Sans doute ceux-ci étaient-ils moins voyants que les nobles anglais, et aussi moins adroits que Desagulier. Ceci n’empêcha pas le bruit de courir, vers 1720, que les Francs-Maçons étaient des jésuites déguisés. Sans doute que la personnalité de Ramsey y fut pour quelque chose.

C’est dans ce contexte que le cardinal Corsini aurait guidé la main du Pape Clément XII, âgé à ce moment de 87 ans et aveugle, pour signer la première bulle contre la Franc-Maçonnerie de l’histoire moderne. Nous avons bien dit « aurait », car l’original de la bulle ne porte pas la signature de Clément, ni d’ailleurs celle de son camerlingue de neveu Corsini. On n’y trouve que le nom d’Fugénius sous forme calligraphiée. Selon le Bullarum Romanum, la bulle est signée de N. Antonellus et de I.B. Eugénius. Ces deux personnages sont cependant totalement inconnus et en tous les cas ne détenaient aucune fonction ecclésiastique d’importance.

Quelles sont les considérations à la base de cette première bulle? A l’origine il semble bien qu’elle aie été une réaction normale du Vatican contre les attaques lancées par les protestants anglais, soutenus par les Hannovre et les loges anglaises, contre la papauté. Et peut-être aussi contre les loges continentales qui s’opposaient à la royauté de droit divin. Sans parler des raisons politiques, la bulle reproche « le serment fait sur la bible de garder le secret sur ce qui se fait et se dit en loge. »

Relevons que cette bulle se réfère à une ancienne loi romaine destinée à lutter contre les Chrétiens. L’empereur Trajan avait stipulé: Lorsque plusieurs hommes intelligents se rassemblent, même si c’est pour lutter contre un incendie, il peut en résulter un danger bien plus grand que la destruction de quelques maisons ou même de la ville entière.

Quoi qu’il en soit, le parlement français, qui n’avait aucune raison d’aider le Pape que l’on voyait avec déplaisir prendre de plus en plus d’emprise sur le peuple, n’enregistra jamais cette bulle. De ce fait, si, en France, le clergé des paroisses était docile aux injonctions romaines, nombre de prélats cultivés continuaient à fréquenter les loges.

Dès ce moment, les bulles vont se succéder. En 1751 Benoit XIV se fera un peu plus explicite : Il cite seulement parmi les raisons très graves: dans cette société, il se réunit des hommes de toute religion, de toute secte, d’où l’on voit assez quel mal peut en résulter pour la pureté de la religion catholique.

Encore une bulle sans grand effet. Pendant les années qui précédèrent la révolution française, sur les 629 loges que comptait le Grand Orient de France, il n’y en avait aucune qui ne compta un ou plusieurs ecclésiastiques parmi ses membres. Vingt-sept d’entre elles avaient même un ecclésiastique comme Vénérable.

Mais changeons de siècle. En 1821, Pie VII s’en prend surtout aux Carbonari dont l’organisation était similaire à celle de la Franc-Maçonnerie. Il condamne surtout le fait qu’ils ont la coupable audace de nommer Jésus-Christ leur Grand Maître.

Y avait-il d’autres raisons ? Est-ce un hasard si cette bulle est promulguée juste une année après que Mgr. Affre, Archevêque de Paris, ait fulminé contre les savants et menacé d’excommunication quiconque oserait encore affirmer que la terre avait plus de 6820 ans. Les livres sacrés enseignent que Adam est né 4 000 ans avant Jésus, et que la terre a été formée mille ans avant Adam. Tous les interprètes du zodiaque de Dendérah sont donc des ennemis de la religion.

Cinq ans plus tard, en 1826, Léon XII s’en prend aux « sectes dites universitaires, où les jeunes sont pervertis par quelques maîtres, initiés à des mystères d’iniquité et formés à tous les vices. Est-ce éventuellement l’école laïque qui est visée? Léon XII veut rappeler les brebis égarées au bercail et il stipule : Pour leur rendre plus facile le chemin de la pénitence, Nous suspendons pendant l’espace d’un an… l’obligation de dénoncer leurs frères… Ils n’ont plus besoin de dénoncer leurs complices.

Trois ans plus tard, Pie VIII renouvelle les accusations contre les sectes secrètes constituées récemment pour corrompre les âmes des jeunes gens.

Nous en arrivons à Pie IX qui mérite une attention très spéciale. Quoique les documents y relatifs ont pratiquement tous disparu, nous savons que, de son nom de baptême il se nommait Giovanni Ferreti Mastaï. Il aurait été initié le 15 août 1809 à la loge Eterna Catena à l’Orient de Naples. Alors qu’il était délégué apostolique en Uruguay, il y fréquentait assidûment les loges.

Devenu Pape sous le nom de Pie IX, il doit naturellement se défendre d’avoir été initié. Comme l’attaque est la meilleure des défenses, il fulmine et demande d’exterminer comme d’un glaive, cette secte qui respire le crime et s’attaque aux choses saintes.

Rien d’étonnant Si le roi d’Italie Victor Emmanuel, en sa qualité de Grand-Maître de la Franc-Maçonnerie italienne, demande le jugement du Frère Mastaï. Celui-ci sera trouvé coupable de violation répétée de son serment et exclu de la Franc-Maçonnerie. Le document y relatif sera diffusé dans tout le monde maçonnique.

Nous en arrivons à la bulle de Léon XIII, très explicite cette fois. Cette bulle, promulguée en 1884, est sans doute encore de nos jours le document le plus représentatif de la controverse et aussi celui qui est le plus souvent cité. Il a été réimprimé en 1961 et est disponible dans toutes les bonnes librairies. Nous ne pouvons qu’en conseiller une lecture attentive. Nous y trouvons naturellement, et c’est regrettable, des accusations de bonnes femmes qui prêtent à sourire.

Voyons cependant les vraies raisons, celles qui nous sont bien connues, même si ce ne sont pas nécessairement les mêmes que celles de Clément XII. Léon XIII ne les signale qu’en passant, sans insister. Il s’agit, bien sûr, de l’éternelle question du secret. Mais parmi les raisons bien réelles nous trouvons la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui est présentée comme l’œuvre des Francs-Maçons, et une négation de la révélation divine et de la mission de l’Eglise. Le dépouillement de la puissance temporelle des Papes est stigmatisée comme étant aussi l’œuvre des Francs-Maçons pour détruire la puissance sacrée des pontifes romains et détruire la papauté qui est d’inspiration divine.

Nous lisons ensuite : la grande erreur du temps présent… est de mettre sur pied d’égalité toutes les formes religieuses. Or, à lui seul ce principe suffit à ruiner toutes les religions, et particulièrement la religion catholique, car, étant la seule véritable, elle ne peut, sans subir la dernière des injures et injustices, tolérer que les autres religions lui soient égalées.

Plus loin, nous lisons Voici clairement définie l’erreur démocratique : les hommes sont égaux en droit, tous, à tous les points de vue, sont d’égale condition. Car Pierre enseigne en effet que les chrétiens doivent se soumettre, pour Dieu, à toute créature humaine qu’il a établie au-dessus d’eux.

En analysant soigneusement le contenu de toutes ces bulles sans nous laisser distraire par les accusations que nous savons infondées, que reste-t-il ? Il semble en ressortir une grande crainte. C’est celle de voir s’étendre la liberté de conscience, car c’est pour cette liberté, pour tous les hommes, que les Francs-Maçons ont toujours lutté. Cette liberté implique naturellement le refus de tout dogme imposé pour permettre à chaque homme une recherche personnelle de la Vérité, à chaque chercheur de trouver en lui-même ce qui le relie à la transcendance. Chacun peut ainsi trouver une compréhension personnelle de son Dieu.

Voyons notre vingtième siècle. En 1937, Pie XI promulgue la seule bulle contre la Franc-Maçonnerie que je vous prie fraternellement de considérer comme nulle et non avenue. En effet, à ce moment, il était prisonnier de Mussolini. Il ne se passait pas un dimanche sans qu’éclata une bagarre entre chemises noires et jocistes (Jeunesse ouvrière catholique). On se battait sur les parvis, dans les escaliers des clochers pour empêcher d’appeler les fidèles à la messe. Il fallait donner un gage de bienveillance au geôlier fasciste, et, en excommuniant les Francs-Maçons, les Rotary, les Compagnons et aussi les autres bêtes noires de Mussolini, les communistes, un terrain d’entente était trouvé. Les ennemis de nos ennemis étant nos amis, il n’y avait plus de problème pour sonner les cloches.

Où en sommes-nous aujourd’hui? Les avis sont partagés. D’un côté on tolère, de l’autre on fulmine. Est-ce pour ne pas trop se démarquer de Mgr. Lefèvre que le Pape Jean-Paul II a signé la déclaration de la congrégation pour la doctrine de la foi du 26 novembre 1983 qui condamne à nouveau la Franc-Maçonnerie ? En effet, nous lisons dans les périodiques fondamentalistes: La liberté de conscience, les droits de l’homme, l’ouverture aux autres religions ou confessions, l’esprit de dialogue, sont contraires à l’esprit catholique. Toute liberté est celle de l’erreur contre la vérité. Tout dialogue est celui de l’homme éclairé et du serpent. Le respect des consciences, quand on a la chance d’avoir les serviteurs de la vérité qui détiennent le pouvoir, devient scandale ou abdication.

A travers toutes ces bulles, nous pouvons suivre le devenir de la Franc-Maçonnerie actuelle et la lente maturation des idées. Pendant les derniers siècles du premier millénaire, nous ne pouvons que supposer les antagonismes entre la religion de Pierre et celle de Jean. Au début de ce millénaire, les maçons ont commencé à faire chanter les pierres pour transmettre à tous les hommes un message de liberté spirituelle. Ce message est inscrit dans les cathédrales, véritables livres d’images. L’église est devenue le centre de la cité. Elle est ouverte à tous et l’enseignement véhiculé se veut accessible à chacun.

Aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, la Franc-Maçonnerie a ouvert ses portes aux divers courants scientifiques. Elle a servi de refuge aux victimes de l’inquisition, à ceux qui représentaient l’élan vers la liberté de pensée. Dans le sein des loges, dans un climat exempt de confrontation haineuse, ou d’a priori dogmatique, comme le grain mis en terre les idées nouvelles pouvaient germer, croître,

Au XVIIIe siècle, la Franc-Maçonnerie est devenue franchement révolutionnaire. Non seulement en France, ou aux Etats-Unis qui trouvèrent leur indépendance grâce aux Francs-Maçons, mais aussi en Suisse, et spécialement dans le Pays de Vaud. Vers 1780, lors de la fondation de la Loge  » les Amis Unis « , la moitié des membres fondateurs étaient officiers. Et tous ces officiers se trouvaient à Morges, à pied, privés de commandement par LL. EE. de Berne pour avoir signé la pétition « dite de von Ernst » qui demandait les mêmes privilèges pour ancienneté de servir pour les officiers Vaudois que pour les Bernois.

Au célèbre banquet des Jordils, nous retrouvons six membres de la Loge de Morges :les deux Frères Régis, Pierre Muret, François Mandrot, Jacob et Félix Blanchenay. Sans doute y avait-il aussi des frères des Loges lausannoises, mais je n’ai pas retrouvé leurs noms.

Au siècle passé, c’est une Franc-Maçonnerie évolutionnaire qui a pris la relève. Eprises de justice sociale, les Loges ont fortement marqué la Constitution Fédérale de 1848. Nous retrouvons dans certaines archives les titres des conférences suivantes : La réduction des heures de travail, la suppression du travail des enfants, l’extension de l’enseignement gratuit, la participation des ouvriers aux bénéfices de l’entreprise, l’admission d’hommes de toute religion dans la Franc-Maçonnerie (donc aussi les juifs et les musulmans).

Qu’en est-il de la Franc-Maçonnerie actuelle ? Une constante est apparue tout au long de ce cheminement. C’est la volonté de promouvoir la liberté de conscience pour tous les hommes et de permettre à tous, et surtout aux membres des loges, de chercher à se situer librement dans leur relation avec le tout. En cherchant l’harmonie entre tous les hommes, la Franc-Maçonnerie cherche à promouvoir l’épanouissement de l’humanité.

Améliorer les rapports entre les hommes, rendre l’humanité plus consciente de ses imperfections à travers une introspection libre de préjugé ou de dogme; cela n’est possible que par l’amélioration de l’individu, de chaque individu, et en premier lieu de chaque Maçon.

Pour essayer d’atteindre ce but, la Franc-Maçonnerie actuelle utilise un moyen qui nous vient des anciens constructeurs et qui était déjà utilisé en Grèce ancienne et en Egypte pharaonique : L’initiation.

L’initiation est sans aucun doute le moment le plus important dans la vie d’un maçon. Aussi devons-nous préciser ce que nous entendons par Initiation, ce que celle-ci représente pour nous, ce qu’elle permet d’obtenir, comment elle agit, et ce qu’elle peut, de nos jours encore, signifier pour les hommes et les femmes de notre temps.

Mircea Eliade a écrit: On entend en général par initiation un ensemble de rites et d’enseignements oraux qui poursuit la modification radicale du statut social et religieux de l’homme à initier. Philosophiquement, l’initiation équivaut à une modification ontologique du régime existentiel.

Et René Guénon précise: L’initiation est essentiellement une transmission et ceci peut s’entendre en deux sens différents. D’une part transmission d’une influence spirituelle et d’autre part transmission d’un enseignement traditionnel. C’est la transmission de l’influence spirituelle qui doit être envisagée en premier lieu, car c’est elle qui constitue essentiellement l’initiation au sens strict.

Ainsi l’initiation a pour objet, avant tout, de provoquer une modification radicale de notre mode de penser, de notre manière de vivre, de tout notre être. Il s’agit réellement, comme le précisent nos anciens rituels, de passer des ténèbres à la lumière.

Il convient de changer réellement l’homme. Mais pour atteindre ce but, l’initiation nécessite plusieurs conditions. Tout d’abord le candidat doit être « libre et de bonnes mœurs ». Il doit, dans une première épreuve, se dépouiller de tous les préjugés reçus dans la vie profane, il doit « dépouiller le vieil homme ».

Mais cette mort symbolique, déjà pratiquée dans les initiations égyptiennes et dans la Grèce antique, ne saurait avoir lieu n’importe comment et n’importe où. Les épreuves de l’initiation, les « voyages » symboliques (au Rite Ecossais Ancien et Accepté, ils comportent les épreuves de la Terre, de l’Eau, de l’Air et du Feu.) doivent avoir lieu dans un espace-temps séparé du monde, dans un « Temple », sacralisé par le Rite lui-même.

En vivant ce psychodrame initiateur, le candidat le perçoit à la première personne ; lui seul est le Rite, l’acteur et le but de la cérémonie. Tous les Maçons présents ne sont que des canaux cherchant à insuffler au candidat l’esprit qui anime la « chaîne initiatique ».

C’est ici que débute ce que René Guénon nomme l’initiation virtuelle qu’il appartiendra au néophyte de rendre effective par son travail, son assiduité, sa persévérance. On ne saurait devenir Compagnon, puis Maître, en un jour, sans travail et sans patience.

De plus en plus d’hommes, et de femmes, cherchent une réponse aux questions fondamentales. Quelle est la raison de notre existence, d’où venons nous, où allons nous ? Pour chacun de nous, la réponse à ces questions ne peut nous parvenir de l’extérieur. L’homme du 3e millénaire ne peut se contenter d’un dogme, d’une affirmation. Il veut, et il peut, trouver en lui-même les réponses à ses angoisses métaphysiques.

Comme par le passé, la Franc-Maçonnerie actuelle soumet des symboles collectifs à la méditation individuelle de ses membres. Héritiers spirituels des bâtisseurs de Cathédrales du Moyen-Age, les Francs-Maçons entendent élever ce qu’ils nomment le Temple idéal de l’humanité. Chaque Franc-Maçon se considère comme étant une pierre de l’édifice qu’il contribue à élever. Une telle entreprise présuppose un effort constant dans la quête de la Vérité qu’il est appelé à chercher d’abord en lui-même. Chaque membre de cette société discrète entreprend cette démarche spirituelle en toute liberté, à l’écart des dogmes politiques, religieux ou philosophiques.

L’initiation maçonnique donne les moyens de chercher à concrétiser cet idéal qui doit se faire dans la LIBERTE de conscience, en FRATERNITE avec tous les êtres et dans l’EGALITE des chances d’évolution de chacun.

Frère Jean R:.